Le droit de propriété est loin d’être absolu et l’urbanisme y est pour quelque chose.
Une législation, éparse, mouvante et différente dans chaque Région et, globalement, très difficile à lire.
Le citoyen joue pourtant gros : tout acte ou travail réalisé sans permis d’urbanisme, et/ou en méconnaissance de la législation ou des plans d’aménagement applicables, peuvent faire l’objet de poursuites pénales.
Or, le principe est pourtant bien connu en droit pénal : le doute doit profiter à l’administré.
En l’absence d’un texte clairement rédigé, une interprétation souple est donc à privilégier.
Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rappeler le 3 juin 2024 (n°259.983) comment interpréter l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 12 décembre 2002 relatif aux changements d’utilisation soumis à permis.
Cet arrêté prévoyait les hypothèses dans lesquelles un changement d’utilisation d’un commerce (pour un commerce différent) nécessitait un permis d’urbanisme. Un permis était requis pour établir dans un commerce existant, un commerce « HoReCa », à savoir l’un des commerces énumérés, parmi lesquels « un restaurant, un snack, une friterie, un débit de boisson, un café, ou tout autre commerce où il y a possibilité de consommer sur place, boissons ou nourriture ».
Le débat était le suivant : faut-il un permis pour passer de l’un à l’autre de ces commerces HoReCa (changer un snack en café, par exemple) ou uniquement pour passer d’un commerce différent (un magasin de vêtements par exemple) vers un commerce HoReCa ?
En d’autres termes, quand un HoReCa est déjà autorisé, peut-on y installer un HoReCa d’un autre type, sans permis ?
Le Conseil d’Etat avait pourtant déjà tranché le sujet : le texte pris à la lettre ne crée qu’une grande catégorie HoReCa (« ou tout autre commerce… »). A suivre le Conseil d’Etat, pas besoin de permis pour installer un restaurant dans un café.
Pourtant, invoquant un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles (non spécialisée en urbanisme, faut-il le rappeler), certaines communes avaient tendance à exiger malgré tout un permis d’urbanisme : selon elles, l’esprit de la loi (réguler les nuisances des HoReCa) primait sur le texte.
Le Conseil d’Etat est revenu à la charge en juin dernier : « tel qu’il est rédigé, l’arrêté du Gouvernement ne soumet pas à permis les changements au sein de la catégorie des commerces où il y a possibilité de consommer sur place boissons ou nourriture. Le changement d’utilisation soumis à permis implique donc l’apparition d’un type de commerce HoReCa dans un immeuble où il n’en existait pas. […] Tout comme un « salon de consommation, snack, resto », un « café, bar » constitue un commerce où il y a possibilité de consommer sur place boissons ou nourriture. Par conséquent, lorsqu’un salon de consommation est transformé en café ou bar, l’immeuble ou la partie d’immeuble concernée ne fait pas l’objet d’un changement d’utilisation au sens de la disposition précitée ».
Autrement dit, le Conseil d’Etat a jugé que la restriction au droit de propriété (avec sanction pénale) s’interprète de façon stricte. On ne peut déduire de ce texte, qui prévoit certaines hypothèses limitatives, une portée plus large qui soumettrait à permis d’urbanisme tous les changements d’utilisation au sein de la sous-catégorie des commerces HoRECA.
Le Conseil d’Etat a, fort heureusement, rappelé que les libertés constitutionnelles n’ont pas perdu leur place en Belgique !
Notons que ce texte a fait l’objet d’une clarification récente (et bienvenue) avec un nouvel arrêté du 16 mai 2024.
Désormais, des rubriques plus claires sont prévues pour les commerces du secteur de la restauration (RECA).
Le passage de l’une à l’autre rubrique est soumis à permis d’urbanisme. Au sein de chacune des rubriques, un changement d’utilisation ne requiert pas de permis d’urbanisme.
Merci à la ténacité des avocats qui ont défendu le droit de propriété ! Le nouveau régime offre plus de clarté pour tout le monde : tant les citoyens que les administrations.